Des millions de clients EDF reçoivent, à partir du 4 avril 2022, un courrier ou un e-mail leur demandant leur accord ou leur opposition à la transmission de données les concernant à des fournisseurs d’électricités concurrents d’EDF.
Si cette démarche peut surprendre, elle s’explique pourtant.
Véritable enjeu concernant les données personnelles et évidente source de questions et inquiétudes, cette situation mérite bien qu’on revienne dessus en détail.
SOMMAIRE :
Le contexte
Un peu d’histoire
Au sortir de la guerre, en 1946, la France a fait le choix de nationaliser les entreprises productrices et vendeuses de gaz et d’électricité.
Cette décision, prise par un ministre communiste (Marcel Paul) du gouvernement d’Union présidé par le général Charles de Gaulle, a marqué la création de deux entreprises : Gaz de France (GDF) et Électricité de France (EDF).
Il est resté quelques exceptions, en général des entreprises locales, déjà publiques, appartenant par exemple à des mairies.

Source : Wikipédia
En 2007, après 61 ans de monopole, le marché de l’électricité à été ouvert à la concurrence, en France (pour les particuliers, hein… Pour les entreprises, cela avait commencé dès 1999).
EDF est resté le plus gros producteur d’électricité du pays, mais n’était plus la seule à en vendre : ses concurrents pouvaient acheter de l’électricité (surtout à EDF, mais aussi à quelques petits producteurs ou à l’étranger) et la revendre.
EDF est malgré tout resté très dominante sur ce marché, même si les pouvoirs publics ont pris de nombreuses mesures pour favoriser ses concurrents (en gros, on handicape un peu EDF pour favoriser l’émergence de concurrents “solides”, histoire d’avoir une vraie concurrence et de casser réellement le monopole historique).
EDF continue de proposer son tarif historique, dont le prix est fixé par l’État (on parle du Tarif Réglementé de Vente, ou TRV, mais il est plus connu sous son nom commercial : le Tarif Bleu).
L’entreprise a également développé des offres dont elle fixe librement le prix (on parle d’offres de marché), comme le font tous ses concurrents (ce sont les “Tarifs Verts”).
Le problème
Les concurrents d’EDF se sont souvent plaints que l’entreprise utiliserait sa position de leader pour leur faire une concurrence trop forte, potentiellement déloyale.
Il lui a en particulier été reproché d’utiliser sa base d’abonnés au tarif bleu (le tarif réglementé par l’État) pour leur proposer des offres au tarif vert (le tarif dont EDF fixe librement le prix).
En 2017, Engie (ex GDF) a lancé une procédure contre EDF, auprès de l’Autorité de la Concurrence.

En février 2022, EDF a été condamnée à une amende de 300 millions d’euros, dans le cadre d’une “procédure de transaction” qui consiste à renoncer à nier ce qu’on lui reproche, en échange d’une amende plus faible et de la possibilité de participer aux décisions qui seront prises pour “réparer” la faute qui lui est reprochée.
Et voici comment EDF se retrouve à devoir fournir des informations à ses concurrents, afin de leur permettre d’accéder, eux aussi, à la base de données de ses clients qui bénéficient du tarif réglementé par l’État.
Cette démarche étant forcément réglementée par le RGPD, les clients concernés sont contactés pour faire part de leurs choix.
Les personnes concernées
Ce sont les clients au “tarif bleu” d’EDF (on parle du Tarif Réglementé de Vente / TRV) qui sont concernés par la campagne d’information d’EDF les invitant à faire connaître leurs choix concernant la transmission éventuelle de leurs données aux concurrents d’EDF.
Le tarif bleu se décline en 3 options : “Tarif de base”, “Heures creuses et Heures pleines” et “Tempo”.
Cette information apparaît sur les factures des clients d’EDF.

(cliquer pour agrandir)
Personnes non concernées
Les clients aux offres à prix libre (offres de marché) ne sont pas concernés.
Cela inclut tous les clients des concurrents d’EDF, pour leur offre d’électricité (ne pas confondre avec le gaz !).
Chez EDF, ces offres sont appelées “vert électrique” et se déclinent en de multiples options.
Attention, les clients qui sont abonnés à EDF à la fois pour le gaz et l’électricité peuvent très bien avoir une offre “Tarif Bleu” pour l’électricité, mais ce n’est pas systématique.
Les clients qui ne sont abonnés qu’au gaz chez EDF (et donc chez un de ses concurrent pour l’électricité) ne sont pas concernés (seule l’électricité peut bénéficier du tarif réglementé, chez EDF).
Les données qui risquent d’être partagées
On distingue 2 types de données : celles qui ne relèvent pas des données personnelles et qu’EDF peut donc partager librement, sans l’accord de ses clients, et celles qui sont des données personnelles et qui ne pourront être diffusées qu’avec l’accord des personnes concernées.
Données partagées automatiquement, sauf opposition des clients
Si les clients ignorent le message reçu, ces données seront vendues aux concurrents d’EDF qui le souhaiteront :
- Adresse où l’électricité est consommée (adresse de consommation).
- Numéro du point de livraison (PDL ou PRM pour les Linky), qui permet de créer un contrat.
- Puissance d’abonnement souscrite (permet d’avoir une idée du besoin et du niveau d’équipement du client).
- Quantité moyenne d’électricité consommée chaque année (historique sur 2 ans).
- Nom du contrat actuel (permet de connaître les options choisies, comme les Heures Creuses, par exemple).
- Type de compteur (Linky ou ancien modèle).
Ces informations ne permettent pas d’identifier un client en particulier, mais elles peuvent facilement être utilisées pour envoyer une publicité assez ciblée à l’adresse du compteur.
Par exemple, une publicité très adaptée en s’inspirant au mieux de l’offre déjà en place.
Données partagées uniquement avec l’autorisation des clients
Les données suivantes ne seront partagées qu’avec l’accord des clients. S’ils ignorent le message reçu, elles ne seront pas divulguées aux concurrents d’EDF.
- Nom et prénom du client.
- Numéros de téléphone du client (fixe et mobile).
- Adresse e-mail du client.
- Adresse d’envoi des factures (qui peut être différente de l’adresse du compteur, par exemple dans le cas des résidences secondaires).
- Indication de la présence, ou non, d’un chauffage électrique (qui a une grosse influence sur la consommation et les offres adaptées au client).
Ces informations sont des données personnelles, donc protégées par le RGPD, ce qui explique qu’elles ne sont pas automatiquement diffusables par EDF à ses concurrents.
Celles-ci peuvent permettre l’envoi de publicités particulièrement personnalisées.
Certaines personnes seront peut-être intéressées de recevoir des offres nominatives de la part de multiples fournisseurs alternatifs à EDF.
Comment exercer son choix ?
Les clients ayant reçu un e-mail disposent d’un lien direct vers le formulaire à remplir pour exercer leur choix.
Ceux qui reçoivent l’information par courrier disposent d’un coupon papier à remplir et renvoyer.
Il est également possible de retrouver le formulaire sur le site d’EDF (rubrique “Mon compte” puis onglet “Préférences” en bas de page).
EDF annonce aussi que le formulaire est accessible sur l’application “EDF & Moi”, mais impossible d’en trouver la trace…

(Cliquer pour agrandir)
Il semble qu’EDF laisse un délai de 4 mois environ à ses clients pour faire leur choix.
Aucune relance n’est prévue pour celles et ceux qui ne prêteraient pas attention au message reçu.
Les messages seront envoyés jusqu’à la fin de l’année 2022, donc tous les clients ne les reçoivent pas en même temps.
Contacter EDF sur ce sujet
Pour toute question, les clients d’EDF peuvent contacter leur fournisseur de différentes manières :
- 09 70 82 15 81 : n° dédié à cette problématique, gratuit, accessible du lundi au samedi entre 8h et 20h.
- 09 69 32 15 15 : n° classique d’EDF, gratuit, accessible du lundi au samedi entre 8h et 20h en faisant le choix 3 (“question relative à la transmission de ses données”).
- 30 04 : n° court d’EDF, gratuit, accessible du lundi au samedi entre 8h et 20h en faisant le choix 3 (“question relative à la transmission de ses données”).
- Depuis la rubrique de contact de l’espace client (délai de réponse de 15 jours maximum, normalement).
Au fait, combien ça coûte, ces données ?
EDF ne communique pas publiquement sur ces informations, mais les données qu’elle va transmettre à ses concurrents seront payantes pour ceux-ci (donc elles ne seront transmises qu’à ceux qui voudront bien payer pour les obtenir).
Les données anonymes seront facturées 10 000 €.
Voici les infos concernées :
- Numéro du compteur (PDL ou PRM).
- Puissance d’abonnement.
- Consommation annuelle (à priori, moyenne sur 2 ans).
- Nom de l’offre actuelle.
- Indication de la présence, ou non, d’un chauffage électrique.
- Type de compteur (Linky ou ancien modèle).
Les données nominatives seront facturées 1,5 ou 6 millions d’euros, en fonction de la taille du concurrent (moins ou plus de 2 millions de clients).
Toutes les infos non “bloquées” par les choix du client seront incluses.
Au final, les concurrents d’EDF pourront proposer des offres assez ciblées pour un coût modique (10 000 €) voir des offres ultra personnalisées pour un montant sans doute facile à rentabiliser, avec un bon discours commercial.
Rappel important sur le marché de l’électricité
En France, les particuliers sont libres de changer de fournisseur d’électricité (ou de gaz) sans aucun frais.
Il n’y a aucun engagement sur ces contrats (c’est interdit par la Loi) et le changement de fournisseur ne demande aucune intervention au domicile (c’est purement administratif).
Seul le “Tarif Bleu” d’EDF a un prix fixé par l’État (via la CRE : Commission de Régulation de l’Énergie).
Toutes les autres offres sont dites “de marché” et ont un prix librement fixé par les fournisseurs (y compris les offres “Vert Électrique” d’EDF).
Il est possible de passer du tarif réglementé aux tarifs de marchés, et inversement, sans contrainte.
Les offres de marché sont de 2 types :
• Celles indexées sur le tarif réglementé proposé par EDF (en général, x% moins cher) et qui évoluent donc en même temps que celui-ci (en général 1 à 2 fois par an).
• Celles à prix totalement libres, qui peuvent être moins chères ou plus chères que le “Tarif Bleu” et dont le prix peut changer aussi souvent que le fournisseur le décide.
Attention : certains prix sont garantis pour une période limitée (par exemple une offre peut être 15% moins chère que le “Tarif Bleu” pendant 12 mois, puis devenir totalement indépendante de ce prix et varier ensuite souvent).